Les lauriers
« Eh bien, puisque tu ne peux être mon épouse, au moins tu seras mon arbre ; toujours, tu serviras d’ornement, ô laurier, à mes cheveux, à mes cithares, à mes carquois. »
Ovide, Les métamorphoses , v. 452-567
Aux Bois-gentils
Quelques lauriers ont hérité du nom de la belle Daphné, qui signifie « laurier » en grec, on peut citer par exemple le daphné des Alpes (Daphne alpina), le daphné camélée (Daphne cneorum), le daphné garou (Daphne gnidium) ou le daphné bois-gentil (Daphne mezereum). Les « Bois-gentils » sont rassemblés sous le genre Daphne et appartiennent tous à la famille des Thymeleaceae.
Une petite clé pour distinguer ces espèces :
1 Sous-arbrisseaux nains à port couché (< 50 cm)
- Feuilles glabres, fleurs roses >> Daphne cneorum
- Feuilles pubescentes, fleurs blanches >> Daphne alpina
1’ Arbrisseaux élevés à port dressé (> 50 cm)
- Feuilles ne dépassant pas le sommet des rameaux, fleurs blanches >> Daphne gnidium
- Feuilles dépassant le sommet des rameaux (formant une rosette), fleurs roses >> Daphne mezereum
Le mythe de Daphné
Le mythe rapporté par Ovide narre la transformation de Daphné en laurier.
Éros, pour se venger d’Apollon qui s’est moqué de lui, tire deux flèches d’un coup, une en or sur Apollon afin qu’il devienne fou d’amour pour la belle Daphné et l’autre en plomb sur la nymphe afin que l’amour lui inspire un éternel dégoût.
Poursuivie par Apollon et épuisée de cette course effrénée, elle demande alors l’aide de son père, le Dieu du fleuve Pénée et pour la sauver, ce dernier la métamorphose en laurier. Lorsqu’Apollon parvient enfin à l’atteindre, il ne peut qu’étreindre le tronc lisse et glacé d’un laurier. Sentant encore palpiter son cœur sous l’écorce, il prélève alors quelques rameaux pour confectionner une couronne et lui promet de lui vouer un culte éternel.
Ainsi, la couronne de laurier devint le symbole des valeureux guerriers et ceignit à jamais l’auguste front des poètes et des triomphateurs !
Ne pas se reposer sur ses lauriers…
Sous l’appellation « laurier » se cachent plusieurs espèces qui n’appartiennent pas forcément à la famille ni au genre des daphnés (Daphne sp.) et qui diffèrent du noble laurier d’Apollon (Laurus nobilis) que l’art culinaire a trouvé bon de baptiser « laurier-sauce ». C’est en effet le seul laurier à usage condimentaire, les autres lauriers étant tous toxiques à des degrés divers. Ainsi, on rencontrera sous le nom de « laurier » des genres aussi variés que Nerium, Rhododendron, Prunus, Viburnum, Daphne et bien entendu Laurus.
Voici 4 lauriers communs TOXIQUES appartenant à 4 familles différentes :
Le laurier rose : Nerium oleander L., famille des Apocynaceae
Le laurier cerise : Prunus laurocerasus L., famille des Rosaceae
Le laurier-tin : Viburnum tinus L., famille des Adoxaceae
Le laurier des bois : Daphne laureola L., famille des Thymeleaceae
Le laurier rose Nerium oleander L.
APOCYNACEAE
Arbuste de 1 à 3 m de hauteur ; feuilles verticillées (insérées au même niveau) par 3, vert foncé, glabres (sans poils), étroitement lancéolées, coriaces, luisantes, à marges entières (pas de dents) ; corymbes de fleurs roses (type pervenche). Plante surtout ornementale mais naturalisée ici et là.
Fruits : follicules.
Toxicité : plante hautement toxique. 100 gr de feuilles peuvent tuer un bœuf ! Elle a longtemps été utilisée comme mort aux rats dans le midi (source : toxiplante).
🔎 Astuce : la plante libère un abondant latex transparent et collant lorsqu’on la casse
Le laurier cerise Prunus laurocerasus L.
ROSACEAE
Arbuste de 3 à 6 m de hauteur ; feuilles alternes (qui ne sont pas insérées au même niveau sur le rameau), vert clair, glabres (sans poils), obovales (plus larges au sommet), coriaces, luisantes, à marges dentées ; grappes de petites fleurs blanches. Plante ornementale.
Fruits : drupes d’abord rouges puis noires à maturité.
Toxicité : plante hautement toxique. L’ingestion de 5 à 6 fruits suffit à tuer un enfant (source : toxiplante).
🔎 Astuce : les marges des feuilles sont dentées
Le laurier-tin Viburnum tinus L.
ADOXACEAE
🔎 Astuce : les feuilles sont bordées de petits cils
Arbuste de 1 à 3 m de hauteur ; feuilles opposées, vert foncé, pubescentes (avec des poils), ovales ou oblongues, mates (ne brillent pas), à marges entières (pas de dents), poilues surtout sur les nervures au revers de la feuille ; corymbes denses de petites fleurs blanches (type sureau noir). Plante spontanée mais aussi plantée comme ornementale.
Fruits : drupes bleu acier.
Toxicité : plante faiblement toxique. Les fruits lorsqu’ils sont consommés avant maturité (verts) peuvent entraîner des troubles digestifs de type gastro-entérite (source : toxiplante).
Le laurier des bois Daphne laureola L.
THYMELEACEAE
Arbrisseau de 30 cm à 1 m de hauteur ; feuilles alternes, vert foncé, glabres (sans poils), spatulées (en cuillère), dont le limbe s’atténue en pétiole (partie située à la base de la feuille qui porte le limbe), luisantes dessus, plus claires et mates dessous, à marges entières (pas de dents) ; cymes axillaires de petites fleurs jaune verdâtre. Plante spontanée.
Fruits : baies, d’abord vertes puis noires et mates à maturité.
Toxicité : plante très toxique dans toutes ses parties. L’ingestion des baies peut entraîner un œdème de la langue et des muqueuses buccales, une hypersalivation, une soif intense, des douleurs digestives, des vomissements voire des diarrhées sanglantes. Une goutte du jus de son fruit dans l’œil suffit à rendre aveugle ! (source : toxiplante).
🔎 Astuce : les nervures des feuilles sont très peu marquées
et les feuilles sont réunies en rosette à l’extrémité des rameaux,
laissant la partie basse de la plante entièrement défeuillée
Le laurier d’Apollon
Et voici notre noble laurier d’Apollon, Laurus nobilis, unique représentant de la famille des Lauraceae en France et le seul à pouvoir être utilisé en cuisine (sauf si vous souhaitez vous débarrasser rapidement de vos convives !).
Ses feuilles dégagent un puissant parfum aromatique au froissement. Si aucune odeur n’est perceptible, passez votre chemin, c’est qu’il s’agit d’une autre espèce appartenant à une autre famille.
Le laurier noble Laurus nobilis L.
LAURACEAE
🔎 Astuce : les feuilles dégagent
une forte odeur aromatique au froissement,
elles ne sont ni dentées ni ciliées et ne libèrent aucun latex à la cassure !
Arbre de 2 à 15 m de hauteur ; feuilles alternes, vert foncé, glabres (sans poils), lancéolées (comme le fer de lance), luisantes et coriaces, à marge entières (sans dents) ; fleurs blanches unisexuées mâles ou femelles disposées en glomérules axillaires. Plante spontanée et cultivée.
Fruits : drupes noires.
Toxicité : utilisée en petites quantités, cette plante n’est pas toxique.
Épilogue
Ici s’achève cet aperçu de ce que l’on nomme communément “lauriers”, ceux de la gloire revenant à Apollon qui fit, au nom de Daphné, une noble couronne ! D’où l’importance que l’on doit accorder aux noms scientifiques. Les noms vernaculaires (ou noms communs) sont parfois très trompeurs donc gare aux garous et gloire aux noms !
“Aux plus savants auteurs comme aux plus grands guerriers, Apollon ne promet qu’un nom et des lauriers.”
Boileau, L’Art poétique, chant IV, v. 177
Cherchez-vous un laurier ? Oui, Laurus nobilis !
De gauche à droite, les 5 lauriers dont il a été question dans cette chronique :
Prunus laurocerasus L. ROSACEAE
Nerium oleander L. APOCYNACEAE
Laurus nobilis L. LAURACEAE
Viburnum tinus L. ADOXACEAE
Daphne laureola L. THYMELEACEAE
Crédits illustrations (sauf mentions contraires) :
©Sarah Silvéréano – Botamalys 2021